mardi 3 mai 2011

un sourire qui écrase le monde

On s'apaise parfois. Cela arrive. De plus en plus souvent. On ne voit pas toujours des catastrophes au bord de la prochaine seconde. On se dit que le monde ne finira pas encore une fois à la fin de la phrase; que tout se brisera, que rien ne restera, que ça finira dans un hôpital ou pire, qu'il n'y aura jamais de chaleur après avoir par hasard approché un feu. Nous sommes les enfants de notre histoire. Remplis de ces méduses que sont nos souvenirs. Mais il faut rêver nos souvenirs. Les imaginer plus beaux qu'ils ne le sont. Le passé s'est une matière à travailler. Ce n'est pas trahir, ce n'est pas mentir, c'est dire : la réalité s'est trompée en me faisant vivre ça, ça n'aurait pas du se passer comme ça. J'ai besoin de belles choses. Alors le passé j'en fais mon affaire. Je maquille, j'oublie des êtres, des heures, je transforme. Tout est vrai dans mon cerveau, ce que j'invente de ce que la vie m'a donné, de ce que j'ai fait. Les choses qui ne me ressemblent pas ne sont pas arrivées. On met du temps à se ressembler. Le reste ce sont des ratures. On efface, on réécrit, joyeusement. Nous ne sommes pas les enfants de notre passé. Nous en sommes les parents. Nous éduquons notre passé, pour qu'il cesse de nous blesser. Nous le créons pour que la vie présente soit douce et possible.
Avec notre coeur de traumatisé on arrive à rire, alors bien sûr on ne sera jamais normal, on n'arrivera jamais à être parmi les autres comme les autres, on ne sera jamais guérit de la terreur qu'ils nous inspirent, mais on s'en fout : il y a de la place dans les marges, il y a une vie, plus secrète, plus belle, moins bruyante, plus profonde.
Vous voulez mon avis ? On ne s'autorise pas assez à s'éviter les situations peu agréables. On se sent en faute. On se sent anormal. On l'est. Alors autant l'assumer. C'est mieux que de couvrir ça par de l'alcool ou des comportements qui ne nous ressemblent pas. On mime les autres, mais on ne fait que se perdre soi-même. Et bon dieu je me suis perdu bien des fois. Comme un enfant, dans le noir, attiré par la lumière, la mauvaise lumière. J'ai oublié tout ça, je suis là avec moi, en moi, pour moi. Je ne suis jamais seul dans la solitude. Donnez-moi un amour, deux amis, un toit, jardin, et le monde est fait. Je ne suis pas exigeant. On s'en moque de la reconnaissance, de l'argent. Donnez-moi une vie simple et tranquille, stable et fantaisiste. Je dis "donnez-moi", mais non je le sais : je vais prendre tout ça. La conquête a commencé. Ce sont des armées qui gagnent en évitant le combat. Rien n'est plus dur que d'éviter le combat : nous avons été élevé pour ça, être tout le temps sur la scène, faire le beau, être en représentation, impressionner, écraser, dominer, gagner. Alors, on arrête. Nos armées rentrent sous terre, dans les bois, elles se dispersent.
On est dans un jardin, un café à la main, il y a du soleil ou pas, un petit peu de vent, et tout va bien. Ce tout va bien est un instrument, ce n'est pas une phrase, pas une pensée. C'est un outil, façonné par les hommes au fil des siècles. On apprend à s'en servir, à l'utiliser dans le réel. Tout va bien. Et l'on sourit immensément.

4 commentaires:

  1. Il faudra se demander un jour qui sont ces autres comme les autres, ces oppresseurs, heureux, sûrs d'eux et de leur monde.
    Je ne suis pas sûr qu'ils existent ailleurs que dans les coeurs torturés des enfants trop malheureux.
    Toxic

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  2. @ toxic : c'est sans doute le seul endroit où ils ne sont pas
    on ne voit que ce que notre histoire nous permet de voir, les fantômes, les mythes des uns, sont les réalités brutes des autres
    tant mieux cela veut dire que nous ne vivons pas les mêmes cauchemars, quelle belle biodiversité de la tragédie

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  3. Bonjour,

    Les mauvaises pensées ou les pensées automatiques sont les pires ennemies contre lesquelles nous luttons au quotidien. Une armée noire, une nuée de crispations mentales ou une troupe de visées négatives qui blesse, fait des dégâts, on perd une part de soi sur le front de la bataille et parfois, une issue funeste.

    Des guerres du Vietnam intimes ; si invisibles à l’œil des proches et des profanes. On ne gagne jamais grâce à la fuite ou au renoncement ; ces deux tactiques ne sont que des trêves fugaces ; les assauts reprendront. Il y a aussi ces dérivatifs pratiques sur un court terme pour lutter : l'agressivité, travestir notre identité afin de plaire aux autres, et pire encore.

    Au final, ces subterfuges nous éloignent des autres et de nous mêmes ; le chaos règne. On devient si ivre de ces déviations qu'on passe à côté de soi et de notre véritable vie. Plus rien ne dépasse. En estimant nous protéger de cette manière, on ne montre plus rien ; on devient une ombre.

    Alors un jour arrive où on ôte malgré tout l'armure pour respirer un peu. On sort de ce grand sommeil avec des céphalées redoutables. Le monde a continué à tourner sans nous mais nous n'avons rien perdu en acceptant finalement d'être soi, sans ces parades artificielles.

    On gagne sur soi, on gagne du temps, on gagne de l'apaisement. Oui, la route est longue et fastidieuse pour retrouver notre vraie âme mais l’apercevoir au loin est une première et nécessaire victoire.

    Qui nous dit qu'en lâchant-prise, nous chuterons? Et si, nous étions capables au fond avec nos propres outils psychologiques de nous poser sur la terre ferme avec légèreté ?

    Se retrouver seul(e) avec soi-même est pénible quand l'estime de soi se démarque par son absence. Mais cette pratique est aussi vitale que la respiration. Les premières fois sont maladroites, balbutiantes toutefois elles existent. Quoi de plus noble et de plus admirable que d'être capable de prendre conscience de ses faiblesses et de réunir toutes nos forces pour les dulcifier ?

    Oui, le courage d'être soi.

    Cordialement, Emeline

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  4. Bonjour Emeline,
    Je suis d'accord avec vous, en tout. Et je ne connaissais pas ce verbe : dulcifier. Merci :-

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