On s'apaise parfois. Cela arrive. De plus en plus souvent. On ne voit pas toujours des catastrophes au bord de la prochaine seconde. On se dit que le monde ne finira pas encore une fois à la fin de la phrase; que tout se brisera, que rien ne restera, que ça finira dans un hôpital ou pire, qu'il n'y aura jamais de chaleur après avoir par hasard approché un feu. Nous sommes les enfants de notre histoire. Remplis de ces méduses que sont nos souvenirs. Mais il faut rêver nos souvenirs. Les imaginer plus beaux qu'ils ne le sont. Le passé s'est une matière à travailler. Ce n'est pas trahir, ce n'est pas mentir, c'est dire : la réalité s'est trompée en me faisant vivre ça, ça n'aurait pas du se passer comme ça. J'ai besoin de belles choses. Alors le passé j'en fais mon affaire. Je maquille, j'oublie des êtres, des heures, je transforme. Tout est vrai dans mon cerveau, ce que j'invente de ce que la vie m'a donné, de ce que j'ai fait. Les choses qui ne me ressemblent pas ne sont pas arrivées. On met du temps à se ressembler. Le reste ce sont des ratures. On efface, on réécrit, joyeusement. Nous ne sommes pas les enfants de notre passé. Nous en sommes les parents. Nous éduquons notre passé, pour qu'il cesse de nous blesser. Nous le créons pour que la vie présente soit douce et possible.
Avec notre coeur de traumatisé on arrive à rire, alors bien sûr on ne sera jamais normal, on n'arrivera jamais à être parmi les autres comme les autres, on ne sera jamais guérit de la terreur qu'ils nous inspirent, mais on s'en fout : il y a de la place dans les marges, il y a une vie, plus secrète, plus belle, moins bruyante, plus profonde.
Vous voulez mon avis ? On ne s'autorise pas assez à s'éviter les situations peu agréables. On se sent en faute. On se sent anormal. On l'est. Alors autant l'assumer. C'est mieux que de couvrir ça par de l'alcool ou des comportements qui ne nous ressemblent pas. On mime les autres, mais on ne fait que se perdre soi-même. Et bon dieu je me suis perdu bien des fois. Comme un enfant, dans le noir, attiré par la lumière, la mauvaise lumière. J'ai oublié tout ça, je suis là avec moi, en moi, pour moi. Je ne suis jamais seul dans la solitude. Donnez-moi un amour, deux amis, un toit, jardin, et le monde est fait. Je ne suis pas exigeant. On s'en moque de la reconnaissance, de l'argent. Donnez-moi une vie simple et tranquille, stable et fantaisiste. Je dis "donnez-moi", mais non je le sais : je vais prendre tout ça. La conquête a commencé. Ce sont des armées qui gagnent en évitant le combat. Rien n'est plus dur que d'éviter le combat : nous avons été élevé pour ça, être tout le temps sur la scène, faire le beau, être en représentation, impressionner, écraser, dominer, gagner. Alors, on arrête. Nos armées rentrent sous terre, dans les bois, elles se dispersent.
On est dans un jardin, un café à la main, il y a du soleil ou pas, un petit peu de vent, et tout va bien. Ce tout va bien est un instrument, ce n'est pas une phrase, pas une pensée. C'est un outil, façonné par les hommes au fil des siècles. On apprend à s'en servir, à l'utiliser dans le réel. Tout va bien. Et l'on sourit immensément.